L'ambiance est toujours à la grisaille ce matin, mais pas de
neige. Nous retournons à Hveravellir pour une nouvelle visite éclair,
sans grande conviction. Ce n'est encore pas ce matin que nous nous baignerons
dans la rivière d'eau chaude. La visibilité est réduite,
et nous renonçons également à la randonnée prévue
vers un proche sommet, Strýtur, perdu dans le brouillard. A regret
nous décidons de changer de région pour parvenir à l'ouest
du glacier Langjökull.
Nous avons repéré sur les panneaux d'information qui marquent
l'entrée de chaque commune une piste pour 4x4 spéciaux permettant
de relier la F35 à la F578 à l'ouest du pays, sans remonter
jusqu'à Blönduos et les fjords du nord. Ces pistes figurant en
pointillé gris sont des pistes non aménagées, réservées
aux 4x4 spécialement préparés pour ce genre de sport.
L'allure des 4x4 islandais - des " big foot " - aurait normalement
dû nous inciter à la prudence : véhicules surélevés,
roues monstrueuses, GPS intégré, c'est du sérieux !
Mais Christophe avait depuis longtemps envie de tester son engin sur de la
vraie piste, et nous nous lançons.
Après 18,5 km de bonne piste roulante, nous quittons la F35 pour
une vague trace qui part vers la gauche. Le début est plutôt
amusant : nous zigzaguons entre les laves solidifiées, cherchant les
blocs marqués à la peinture verte qui jalonnent l'itinéraire.
Il faut parfois descendre au fond d'un oued pour remonter en face, et Christophe
se régale de faire enfin du franchissement. Notre vitesse moyenne
avoisine les 16 km/h, tout va bien. Petit à petit, le décor
change. Le sable du Stórisandur remplace les laves, nous contournons
des dunes et traversons des lacs asséchés. L'ambiance reste
très minérale. Après deux heures de traversée,
nous atteignons une lande à arbrisseaux nains : airelles, camarine,
saules. Le pique-nique est installé au beau milieu de la piste, sous
un rayon de soleil ; de toute façon il n'y a pas la place de se garer,
et pas une seule voiture à des kilomètres à la ronde.
Comme souvent, nous pique-niquons de pain banique tartiné de tapenade,
de pâté, de tube de poisson et d'Ostur. Peu après être
repartis, nous arrivons à une bifurcation non représentée
sur notre carte au 1/750 000e, ni sur le GPS qui affiche un vide déprimant
à l'écran. Est-ce à gauche, ou bien à droite ?
Aucun repère pour nous aider à décider. Après
quelques minutes d'hésitations, nous optons pour la gauche. Je prends
le volant, histoire de me faire une peu la main en tout terrain. Mais les
difficultés se succèdent, en particulier des traversées
d'oueds parsemés de blocs monstrueux qu'il faut escalader au ralenti.
Je souffre à chaque fois que j'entends le pont racler sur des rochers,
même si Christophe tente de me rassurer en prétendant que c'est
du solide. Il cherche désespérément à se cramponner
à l'intérieur du Land, très surpris de constater qu'on
est beaucoup plus secoué en tant que passager qu'en conduisant. Nous
garons le Land à côté d'un refuge plutôt sommaire,
en assez mauvais état, ce qui n'est pas dans les habitudes islandaises.
Le doute commence à s'installer. Et au moment de repartir après
une visite rapide du refuge, plus de piste. Nous sommes au bout, il n'y a
plus rien après. Il faut bien se rendre à l'évidence,
nous nous sommes trompés de direction, c'était l'autre la bonne.
Et encore une heure de shaker pour revenir à la bifurcation, plus
tout le reste qui nous attend. L'ambiance en prend un coup. Je rends le volant
à Christophe. Avec Frédérique, nous prenons notre mal
en patience. La vitesse a chuté à moins de 12 km/h.
Revenus à la bifurcation, nous croisons un Land 110 noir, plaques
de désensablage sur le côté, un jeune couple avec un
nourrisson à l'intérieur. Eux viennent du nord, et ils nous
indiquent que le bon embranchement se trouve quelques kilomètres plus
loin. Ils se sont ensablés en venant, et nous expliquent que la piste
est vraiment difficile, en particulier un passage dans les cailloux, " quite
long ". Ça promet ! Grâce à leur carte au 1/100 000e,
nous parvenons à nous repérer et à examiner la fin du
parcours : un gué difficile est noté juste avant la fin. Si
nous ne parvenons pas à le franchir, il faudra refaire toute la piste
en sens inverse...
La suite est plus vallonnée, nous traversons de jolies collines herbeuses
pâturées par les moutons. L'érosion est intense, en particulier
lorsque la piste coupe le flanc d'une montagne. Régulièrement
des talwegs creusent des plaies béantes en travers de la piste, comblées
à coups de blocs par les " aventuriers " qui nous ont précédés.
Dans les pentes, des ornières profondes finissent par rendre la piste
inutilisable, et une deuxième piste parallèle est alors tracée
juste à côté. Pour traverser les talwegs, la piste plonge
directement au fond du vallon et remonte en pente raide en face. Christophe
nous impressionne par sa maîtrise du franchissement. Pourtant nous
sommes encore inquiets, n'ayant pas trouvé le deuxième refuge
noté sur notre carte. Mais plus loin nous apercevons un nouveau refuge
en bord de rivière, que nous identifions formellement comme le troisième
refuge de la traversée. Posé dans un paysage de toute beauté,
dominant une vallée herbeuse parsemée de lacs au milieu de
l'immensité, le refuge est constitué de deux parties, une pièce
neuve, luxueuse, et une pièce ancienne, plus rustique. Il sert apparemment
aux chasseurs qui fréquentent ces contrées isolées.
Si nous étions plus sûr de la suite du parcours, nous aurions
bien dormi ici pour observer les oiseaux dans les marais au petit matin.
Mais en plus du stress qui nous incite à continuer, le prix est franchement
prohibitif. La fin est proche. Le jour baisse déjà, une pluie
fine commence à tomber et nous décidons de poursuivre jusqu'à
la piste carrossable, pour être fixés sur le gué final.
Sans doute un des plus beaux gués que nous ayons traversés en
Islande, long, peu profond, une eau claire et tranquille. Et de l'autre côté,
c'est le miracle : du remblai ! Nous en sommes sortis, plus aucun risque
de devoir demi-tourner à présent. C'est complètement
épuisés que nous parvenons à un parking sur lequel nous
nous installons pour la nuit.