Samedi 1er septembre

Des vrombissements de moteurs nous réveillent au petit jour, sous un crachin persistant. Un rallye 4x4 emprunte en liaison la piste sur laquelle nous avons bivouaqué. Les véhicules bariolés défilent, et il y a même un Land de l'armée britannique parmi les participants. Nous visitons Reyjavík dans la matinée. Quelques ruelles commerçantes anciennes sont sympathiques, même si l'ensemble est assez américanisé avec de larges avenues en angle droit. C'est l'occasion d'acheter quelques cadeaux pour le retour : livres, souvenirs... Frédérique, immédiatement imitée par Christophe, se trouve une magnifique peau de mouton islandais, qui recouvrira notre vieux fauteuil au retour. Mais aujourd'hui je ne suis pas en forme, plutôt grognon, et nous ne nous attardons pas à Reykjavík. Nous pique-niquons au milieu des usines sur le littoral entre Reykjavík et Keflavík.
Nous avions prévu une petite visite au Lagon Bleu, Bláa Lónidh, histoire de faire trempette dans de l'eau chaude salée. Il s'agit d'une piscine géante aménagée dans les rejets d'eau chaude d'une centrale électrique géothermique, vaste mare d'eau bleu turquoise entourée de laves noirâtres. Mais c'est un spectacle navrant qui nous attend à l'arrivée du lagon en question : immense parking avec va-et-vient incessant de navettes, troupeaux de touristes numérotés, casquette fluo vissée sur le crâne, immense complexe touristique équipé de bar, restau, vente de souvenirs... Et en plus un prix un peu excessif pour tant de monde et de vaine agitation. Sans doute vaut-il mieux y venir de nuit.
Nous mettons alors le cap sur Thórsmörk, assurés d'y trouver moins de monde. " Situé au fond de l'embouchure de la Markarfljót, entouré de collines, de bois et de monts colorés, enserré entre les contreforts des glaciers, Thórsmörk offre souvent un microclimat relativement agréable et stable pour l'île ", indiquait notre topo. C'est exactement ce dont nous avons besoin en ce moment, alors que nous ne rêvons que de chaleur et de verdure. Nous quittons la route n°1 pour bifurquer à gauche sur la F249. La piste remonte le long d'une étroite terrasse alluviale bordant un entrelacs de rivières glaciaires au lit majeur large de plusieurs kilomètres. Nous roulons sur des alluvions constituées d'un conglomérat de galets et de sable grisâtre, sur les traces d'un bulldozer. La piste traverse deux gués peu profonds, effectue un petit détour par le lagon glaciaire du Gigjökull, et devient ensuite plus technique et moins marquée.

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Et après quelques kilomètres, nous butons sur la Krossá, qu'il nous faut traverser pour accéder au refuge. La Krossá n'est pas une rivière, c'est un torrent furieux craché par le glacier Mýrdalsjökull. Elle charrie une eau grise extrêmement chargée, aux remous impressionnants. Impossible d'en estimer la profondeur, on ne voit pas le fond. Quant à la largeur, elle varie d'une dizaine de mètres à une cinquantaine. Le spectacle rappelle un peu le Var après un bon orage méditerranéen un après-midi d'été. Plusieurs pistes à moitié effacées traversent malgré tout, en des endroits plus ou moins judicieux, et la difficulté est de trouver le meilleur passage compte tenu du fait que la rivière remodèle ses rives en permanence. Christophe arrête le Land, museau face au bouillon, et nous regarde d'un air interrogateur. Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Et avant que nous n'ayons pu manifester la moindre opposition il décide : " Tant pis, on y va, on verra bien ! ". Le Land désescalade la rive pentue et pénètre dans l'eau, beaucoup plus profonde que nous (que Christophe) ne l'imaginions (ne l'imaginait). Sous la force phénoménale du courrant, le Land refuse rapidement d'avancer ; les quatre roues patinent désespérément sur les galets instables. Tandis que le niveau de l'eau monte, le Land faisant barrage aux flots furieux qui l'escaladent : on ne voit déjà plus le capot, noyé sous 20 cm d'eau, et je commence à être franchement inquiet quand j'aperçois le niveau atteindre la moitié de mon hublot, pardon de ma fenêtre. Frédérique est blanche comme un linge. Un jet puissant sort du tableau de bord, inondant mon pantalon, mais Christophe déclare que c'est normal, un Land, c'est pas étanche. Ah bon, un instant j'ai eu peur d'être dans un sous-marin en perdition ! Heureusement le courageux moteur n'a pas calé. Pas impressionné pour si peu, Christophe enclenche calmement la marche arrière, se retourne, et recule tranquillement dans le torrent sur cinquante mètres jusqu'à un élargissement permettant une remontée salvatrice sur la rive, celle d'où nous venons.
Il nous faut un bon quart d'heure pour récupérer. Première priorité, sécher. Nous garons le 4x4 dégoulinant en bord de piste un kilomètre plus bas, sortons tout ce qui doit sécher pendant que Christophe commence une inspection générale des entrailles du véhicule et vérifie que tout est en ordre. Mais nous ne dormirons pas au refuge ce soir ; ce parking un peu à l'écart de la rivière nous convient tout à fait pour la nuit. Pourtant, Christophe était prêt pour une nouvelle tentative. Deuxième priorité, manger. Affamés par les émotions, nous engloutissons les beans au riz et petits pois avec bonheur. Et pour se réconforter, un grand verre de compote de pommes accompagnée de biscuits secs islandais.
Un gros 4x4 surélevé, islandais lui aussi, nous dépasse, se dirige vers le gué, mais continue un peu plus haut et à la stupeur de Christophe traverse le gué en descendant le courant sur 200 mètres. C'était donc la solution, suivre le courant plutôt que s'y opposer, et traverser en une longue diagonale descendante. Christophe repartirait bien tout de suite, mais nous n'avons plus envie de bouger, seulement de monter la tente et dormir. Une demi-heure plus tard, le 4x4 revient en sens inverse, s'arrête à notre niveau. Le conducteur, inquiet, nous demande si tout va bien, et Christophe engage une longue discussion nocturne pour raconter notre mésaventure et surtout s'initier à l'art de la traversée des gués difficiles. Frédérique et moi somnolons déjà.