Le ciel s'est entièrement dégagé pendant la nuit. Un magnifique soleil illumine les pelouses d'un vert criard. Nous nettoyons en vitesse le refuge, pour partir escalader le Laki. La piste gagne encore et toujours de l'altitude, jusqu'à un parking, désert, au pied du Laki. Environ 400 mètres de dénivelé pour le sommet situé à 818 mètres d'altitude. C'est un volcan aux pentes de scories instables, raides, que nous escaladons. Arrivé 100 mètres sous le sommet, je me rends compte que la boîte de pellicule que j'ai prise en réserve ne contient pas un film neuf mais du soufre prélevé par Frédérique à Bæjarfjall. Je redescends donc à la voiture en courant et en grognant pour remonter aussitôt. Ça entretient la forme. En débouchant au sommet, le spectacle est grandiose. Un des plus formidables que nous ayons vus depuis le début de notre périple en Islande.
A l'horizon, inondée de lumière, l'immense calotte glaciaire du Vatnajökull, le plus grand glacier d'Europe. En part un alignement presque parfait de volcans, des dizaines de bouches volcaniques de forme et de taille variables, qui aboutit sous nos pieds au Laki, point central et culminant de ce volcan linéaire. A l'opposé, l'alignement continue vers le sud-ouest, relayé par la faille d'Eldgjá jusqu'au glacier Mýrdalsjökull. Les cratères sont rouges, noirs et dénudés, ou au contraire entièrement colonisés par les mousses vert fluo ; certains sont éventrés par les explosions, d'autres forment un dôme quasi parfait. Un anti-conformiste fait bande à part, un peu à l'écart de l'alignement. Au nord, le lac Lambavatn apporte une touche bleutée à ce concert de couleurs. Cet ensemble de volcans est dû à la plus forte éruption fissurale des temps historiques, en 1783, et ses effets se sont fait sentir jusqu'en France. Aujourd'hui il en reste une cicatrice longue de 25 km, et quelque 135 cratères ! Nous jumelons longtemps depuis le sommet, admirant ce panorama exceptionnel, véritable livre de géologie, la Terre à coeur ouvert. Christophe s'essaie de nouveau au panorama photographique sur 360°. Nous prolongeons le plus possible cet instant privilégié où nous imaginons l'île se séparer en deux, la plaque américaine s'écartant inexorablement de la plaque européenne dans un fracas d'éruptions volcaniques et d'explosions phréatiques.
Nous reprenons la voiture pour suivre une boucle dans le Lakagigar qui nous ramènera à Blágil. La piste serpente sur un sol de scories noires recouvertes d'un épais tapis de mousse (Rhacomitrium) dont la couleur verte est d'autant plus foncée qu'elle est humide. Parfois un sol nu, noir, désert, borde les mousses sans raison apparente. Sur un lac, un plongeon imbrin nous retarde encore quelques minutes. Des pseudo-cratères, résultant de l'explosion due à la rencontre de la lave avec la nappe phréatique, apparaissent au détour d'une boucle. Au niveau d'un gué une petite zone humide abritée du vent offre une végétation aquatique exubérante, sorte d'oasis contrastant avec les seules mousses rases qui poussent alentour.
Avec le soleil, nous découvrons la piste que nous avions empruntée dans le brouillard la veille. Le paysage est très montagneux, on l'imaginerait au-dessus de 2000 mètres dans les Alpes alors qu'on ne domine la mer que de quelques centaines de mètres. Nous repartons sur la route n° 1 pour nous arrêter rapidement à Kirkjubæjarklaustur visiter Kirkjugólf, le plancher de l'église, sommet d'orgues basaltiques émergeant d'un champ. Puis nous faisons quelques courses à la supérette.
Soixante-dix kilomètres de route goudronnée nous attendent
avant Skaftafell, parc national englobant une partie du glacier Vatnajökull
et quelques îlots de verdure qui l'entourent. Mais plus nous approchons
du glacier, plus le ciel noircit, jusqu'à devenir complètement
opaque. Nous traversons le Skeidharársandur, vaste plaine sableuse
régulièrement ravagée par les torrents de boue et de
glace (Jökulhlaup) dévalant du Vatnajökull lors des
éruptions sous-glaciaires. Les vestiges des ponts emportés
par la dernière crue, en octobre 1996, donnent une idée de
la violence du phénomène : poutres pliées, structures
métalliques enchevêtrées impressionnant ! La route ne
traverse cette région que depuis 1974, et doit être régulièrement
reconstruite.
Nous arrivons au camping du parc sous un véritable déluge.
Il n'y a plus personne à l'accueil, et nous nous installons au premier
emplacement disponible. Nous montons l'auvent pour disposer d'un abri au
sec. Christophe, dont le moral est indexé sur l'ensoleillement, est
sujet à une nouvelle crise d'effet Kaliméro. Pour le consoler
nous cuisinons du mouton grillé avec de la polenta, un véritable
festin, mais rien n'y fait. La pluie a un effet inhibiteur inéluctable
sur lui. Peut-être fera-t-il beau demain ?