Vendredi 24 août

Il fait sombre et froid ce matin sur ce haut plateau désertique. Christophe s'est gelé toute la nuit dans un duvet fatigué par de trop nombreuses heures de vol. L'horizon est uniformément gris, terre comme ciel. Nous sommes entourés de mamelons caillouteux gris-noir entre lesquels serpente une rivière entrecoupée de lacs pratiquement dépourvus de végétation. Quelques gros blocs posés rompent la monotonie du paysage. Le ciel plombé participe à l'ambiance particulièrement austère du site. Le Nutella a fini par prendre sa consistance nordique, c'est-à-dire solide et compact. Nous en décrochons péniblement des copeaux intartinables. D'autant qu'en guise de pain nous utilisons des Korni, sorte de galette rectangulaire de 0,5 mm d'épaisseur, trop fragile pour supporter la pression du couteau à tartiner. Seule la confiture d'abricot, toujours fluide à basse température, est adaptée à un tel support, et encore à condition de ne pas trop insister. Christophe se sert maintenant du pot de skyr vide comme bol, puisque nous n'avons rien trouvé à Akureyri pour remplacer le bol cassé. Mais le rebord en plastique est vraiment gênant pour boire.

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Notre but de la journée est le glacier Hofsjökull, vaste calotte glaciaire culminant à 1782 m d'altitude au milieu du désert Sprengisandur. Nous quittons la F572 pour une piste secondaire en direction du glacier. Les quelques lacs qui parsèment le plateau sont parfois fréquentés par les oiseaux d'eau : nous observons 30 cygnes sur le lac Reydharvatn, et un plongeon imbrin sur Asbjarnarvötn, chapelet de lacs un peu plus loin. La pluie menace quand nous arrivons au refuge d'Ingólfsskáli. Maisonnette de bois surmontée dun toit pentu peint en rouge, le refuge est posé sur une petite butte dominant un champ de laves. Au loin, le glacier meurt en pente douce sur le sol noirâtre, deux montagnes arrondies entourant une langue glaciaire marbrée de crevasses. A l'intérieur du refuge, c'est le grand luxe : sas où nous laissons s'égoutter nos vêtements, cuisine équipée, mais sans eau, vaste pièce commune occupée par une large table en bois massif qu'entourent deux rangées de couchettes, grand dortoir à l'étage. Les murs sont en bois verni couleur miel, très chaleureux. Des chauffages au gaz à catalyse sont à la disposition des hôtes. Aussitôt nous décidons de profiter du confort pour manger au chaud, et transportons tout notre équipement à l'intérieur : gaz, casseroles, victuailles... plusieurs voyages jusqu'à la voiture sont nécessaires. Et aujourdhui, c'est un repas de fête : nous avons acheté à Akureyri du mouton islandais à griller, mariné aux herbes, tomates et sauce soja. Cuit sur le grill en fonte et accompagné de couscous aux raisins secs, c'est un véritable régal, une viande savoureuse et tendre d'une qualité incomparable. En plus d'être beau et doux, le mouton islandais est donc divinement bon.


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Le temps du repas, le ciel s'est éclairci, et le manque d'activité physique de ces derniers jours commençant à nous peser, nous nous équipons pour l'ascension du sommet le plus proche, qui domine le glacier. Mais à peine marchons nous depuis dix minutes que le ciel se couvre de nouveau. Puis la pluie commence à tomber en rafales. Enfin c'est la grêle qui sabat sur nous tandis que nous approchons du pied de la montagne. Les éléments se déchaînent, comme pour nous rappeler qu'on ne s'attaque pas impunément à la montagne islandaise. Les conditions deviennent apocalyptiques. Frédérique est fatiguée, Christophe démoralisé, et je dois insister lourdement pour éviter l'abandon. Nous repartons donc à l'assaut du Tvífell, 1006 m d'altitude, montagne noire et branlante tandis que la grêle ne faiblit pas. A mi-hauteur, nouvelle pause, et nouvelle insistance pour relancer le mouvement. Frédérique semble résignée, tandis que Christophe sombre dans la déprime la plus profonde. La tête rentrée dans les épaules, caché sous sa capuche violette, il reste prostré et immobile dès que nous nous arrêtons. Nous appellerons ce symptôme de détresse morale profonde " l'effet Kaliméro ". Malgré tout nous continuons, et le sommet est finalement atteint tandis que les averses cessent. D'accord, le paysage n'est pas extraordinaire, puisque nous devinons à peine un petit bout de glacier alors que nous imaginions pouvoir admirer la calotte dans toute sa splendeur. Mais nous sommes contents d'être au sommet. Lorsque nous entamons la descente, le brouillard commence à tomber, et rapidement nous perdons le refuge, puis tout point de repère. Et dans les cinq kilomètres qui séparent le pied du Tvífell du refuge, nous sommes noyés dans un épais brouillard sans rien pour nous repérer. D'autant que la boussole a perdu le nord, affolée par les anomalies magnétiques. Heureusement pour nous, le GPS de Christophe nous guide sans faillir, indiquant le cap à suivre, la distance jusqu'à notre but, et même le temps restant à marcher si nous conservons l'allure actuelle. Sur ce type de terrain, le GPS reste bien le seul moyen efficace de retrouver sa route. Mais gare à la panne !


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Etant donné l'état dans lequel nous arrivons au refuge - glacés, trempés, affamés - la décision est prise à l'unanimité de rester au refuge pour la nuit, le tarif de 800 couronnes par personne n'étant pas excessif. Nous déchargeons donc en plus du reste les duvets, les pyjamas, les vêtements de rechange et quelques autres bricoles qui encombrent habituellement le Land. Mais faire sécher les vêtements n'est pas une mince affaire : le chauffage au gaz produit autant de vapeur d'eau que de chaleur, et il faut ouvrir les fenêtres pour l'évacuer sans que les habits sèchent pour autant. Mais au moins il fait presque chaud, relativement sec, et nous avons la place de bouger.